
Michel Elliott-Marie, ministre de la Défense de 2002 à 2007 sous les gouvernements Raffarin et Villepin, prononcera un discours sur le thème “L’avenir de la défense européenne” lors des Rencontres de l’Avenir à Saint-Raphaël ce vendredi après-midi.
Entretien avec cette “chaîne historique” gaulliste, qui, bien que plus avisée dans les médias, continue de faire entendre sa voix au bureau politique du parti Les Républiques.
Vous avez été ministre de la Défense de 2002 à 2007, comment vous en souvenez-vous ?
Ce fut la période la plus intense, la plus intéressante et la plus heureuse de ma vie politique. Je vous rappelle que c’est l’époque où la Russie était assise autour de la table de l’OTAN (1) ! C’est aussi une période de guerre en Afghanistan, au Liban et dans l’ex-Yougoslavie. C’est en effet un moment très serré au niveau sécuritaire et diplomatique.
A ce poste, vous avez largement soutenu la fin de la conscription et la professionnalisation de l’armée. Était-ce une bonne idée ?
Il était nécessaire d’avoir une armée professionnelle. Ces réformes permettent désormais à la France de disposer de l’une des armées les plus respectées au monde. Mais je regrette que nous n’ayons pas pu organiser un système de substitution pour les jeunes. Une chose est sûre : le service national, dont les filles étaient exclues et seulement une petite partie des garçons, ne jouera plus le rôle de mixité sociale.
Justement, quel est votre sentiment sur le Service National Universel (SNU) souhaité par le Président de la République ?
C’est une mesure qui va dans le sens de ce que je prônais lorsque j’étais ministre de la Défense. Reste à savoir ce qu’on en fera. L’UNS doit donner aux jeunes français des notions théoriques et pratiques de ce qu’est la défense nationale. Il est important que tout le monde participe. A condition que l’UNS puisse être le creuset de l’unité nationale actuellement attaquée dans le pays.
Il fallait combattre Bercy et certainement Nicolas Sarkozy pour défendre le budget militaire. Quel regard portez-vous sur l’effort budgétaire consenti aux armées depuis 5 ans ?
Quel que soit le poste, le ministre passe la moitié de son temps à combattre Bersi, qui essaie toujours de donner le moins d’argent possible et tente même de collecter une partie du budget après son vote par le parlement. Arrivé au ministère de la Défense après le gouvernement Jospin, j’ai dû me battre davantage pour donner aux militaires les outils nécessaires en termes d’effectifs, d’équipements et de formation. Et l’arbitrage du président de la République, en l’occurrence Jacques Chirac, a souvent été nécessaire.
A l’époque, vous prôniez la construction d’un autre porte-avions. Vingt ans plus tard, le débat est toujours d’actualité…
Parce qu’avec un seul porte-avions, nous perdons régulièrement la capacité de projeter nos avions dans le monde entier, j’ai en fait recommandé la construction d’un autre porte-avions. Je n’ai pas changé d’avis et je ressens toujours ce besoin.
Cependant, certaines études ont été menées en collaboration avec le Royaume-Uni. Mais construire une défense européenne reste difficile. Pourquoi pensez-vous
C’est vraiment compliqué pour des raisons à la fois historiques et politiques. La France, par exemple, voulait la souveraineté en matière de dissuasion nucléaire. L’Allemagne, pour sa part, bien qu’elle soit une puissance économique, a longtemps subi l’impact psychologique de la Seconde Guerre mondiale et est limitée par sa constitution qui ne donne à son armée qu’un rôle défensif. Et puis, de nombreux pays d’Europe de l’Est voulaient que l’OTAN fasse plus qu’une participation financière à l’Europe de la défense.
La guerre en Ukraine n’a-t-elle pas changé les choses ?
Bien sûr que oui. L’agression russe contre l’Ukraine a été un choc électrique pour un certain nombre de pays. Du coup, on s’est rendu compte que le dividende de la paix en Europe, prétexte pendant des années pour justifier les coupes budgétaires de la défense, était une dangereuse illusion. Depuis le 24 février, de nombreux pays ont augmenté leurs budgets alloués aux militaires et veulent unifier l’Europe de la défense. C’était l’heure. Le dernier grand discours que j’ai entendu sur la défense européenne était celui de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, et c’était en 2016. La prochaine grande question est de savoir si les industries de défense européennes bénéficieront de ce budget supplémentaire.
Une question plus politique : Quelle est l’opinion de l’ancien président du RPR sur le parti Les Républiques ?
Avant d’aller plus loin, je tiens à souligner que j’ai pris mes distances avec la politique locale au cours des trois dernières années. Au travers de différentes fondations européennes, je me concentre aujourd’hui principalement sur les enjeux géostratégiques. Mais pour répondre à votre question, je crois que le parti Les Républiques a souffert d’une faute commise dans la création de l’UMP, un mouvement né de la rencontre du RPR, de la Démocratie libérale, des Centristes et des Radicaux mais dont on a gommé les spécificités. Les électeurs ne s’y sont pas retrouvés, mais sans électeurs le parti n’existe pas !
Dans la course présidentielle LR, quel candidat préférez-vous ?
J’ai un penchant pour Eric Ciotti et Bruno Ritaleau, mais ma préférence va à Aurélien Prady. Il est certes jeune, mais il a de l’expérience en tant que secrétaire général du parti auquel j’appartiens encore. Je crois que c’est un candidat qui porte le mieux les idées gaullistes, où la souveraineté nationale joue un rôle important, mais qui n’est pas exempt de souci social et d’humanitarisme.
Lorsque vous étiez ministre de la Défense, le magazine Forbes vous a classée parmi les femmes les plus puissantes du monde. Regrettez-vous cette période où vous étiez au centre du jeu ?
Pas du tout. Être au centre du jeu est souvent le résultat d’un regard extérieur. Ce qui m’intéressait en politique, c’était de faire bouger les choses, d’améliorer le quotidien des gens et de les rendre heureux. Vous n’avez pas besoin d’un magazine américain pour le faire. Je n’ai jamais couru après les médias. Ma devise a toujours été : Faire le bien et qu’il soit dit. Contrairement à aujourd’hui où beaucoup d’hommes et de femmes politiques sont plus partisans de dire du bien et de laisser faire les choses.
1. On se souviendra que le 28 mai 2002, les dirigeants des pays de l’OTAN et le président Vladimir Poutine ont signé à Rome une déclaration intitulée « Les relations OTAN-Russie : une nouvelle qualité » et ont en même temps créé l’OTAN-Russie. Conseil en tant qu’organe où les membres traitent d’égal à égal et prennent des décisions par consensus.